« Dieu aima les oiseaux et inventa les arbres. L'homme aima les oiseaux et inventa les cages. »
Jacques Deval

« Arianna-Lux Petterson, je ne me répéterais pas une nouvelle fois, descends immédiatement de cet arbre ! » Une cascade de boucles brunes miroita au gré du vent et un visage de porcelaine, terriblement enfantin, apparut entre le feuillage qui parsemait la branche du pommier sur laquelle elle se trouvait. Cette jolie petite chose qui, malgré sa belle robe rouge, avait affronté les lois de la bienséance pour grimper dans cet arbre, n’était autre que la future capitaine du Trésor Sauvage, cette femme aujourd’hui adulée et critiquée. Arianna-Lux baissa ses prunelles vers son père, regarda un centième de seconde cet homme que le temps n’avait pas encore totalement épargné, soupira puis ferma les yeux. L’air sembla crépiter autour d’elle, tandis que l’enfant sentit un flot de sensations qui ne pouvait l’appartenir l’assaillir et, parmi elle, l’agacement de son père. Ce dernier sourit, sa petite fille, le second amour de sa vie, n’avait que six ans mais maîtrisait presque parfaitement une partie de son pouvoir et rêvait déjà de liberté et d’horizons inconnus. Liberté. Un mot bien vaste qui en avait fait frémir plus d’un, qui a été réduit au silence par les contraintes. Peu d’individus s’étaient réellement risqués à se battre pour, et ceux qui avaient cru l’atteindre n’était que pure illusion. Arianna était une petite fille d’une imagination débordante entretenue par les multiples histoires merveilleuses que lui contait sa mère le soir, ou bien qu’elle déchiffrait petit à petit toute seule. Elle aimait s’enfermer dans son univers où ni peur, ni pleurs, ni mort ne viendraient la tourmenter, là où la réalité n’avait pas sa place. Elle vivait dans un monde où les contes de fées étaient, certes, bien réels mais où la paix n’était que précaire. Beaucoup de sorciers ayant acquit le don de clairvoyance percevaient un changement futur, un avenir sombre à Trifaë. Des rumeurs, des paroles à dormir debout, des mots aussi futiles ne l’intéressaient nullement. Elle n’avait que faire des présages, pourtant ils l’entouraient, et tout peuple l’apercevait, alors son seul échappatoire qu’elle trouva fut les histoires et les méandres son cerveau. Lux se comportait souvent comme un garçon, vivante et énergique à leur image, mais était aussi adorable et coquette qu’une digne fille de son état. Issue d’une famille aux maigres revenus, elle ne connut jamais le luxe. Elle est née dans la forêt de Trifaë, à Maoligri, mais n’y que très peu vécu. Ses parents préférèrent quitter la communauté magique pour s’installer dans une ferme dans les grandes plaines bien avant sa naissance. Ils ne s’étaient rendus qu’à la ville des sorciers pour que madame Petterson puisse accoucher avec les plus grands soins des guérisseurs experts. Ainsi, Arianna-Lux grandit dans une famille de paysans, parmi des animaux de la ferme comme on pouvait en trouver sur Terre. La famille Petterson était composée de multiples personnes, la dernière descendance étant composée d’une trentaine d’individus. Autrement dit, les parents du père de Lux avaient eu sept enfants et tous, en plus de leur conjoint respectif, avaient eu un enfant, au moins. C’était sûrement dû à cette famille nombreuse que ses parents décidèrent de s’isoler, d’autant plus qu’ils étaient à l’image de leur fille plus tard, ils avaient une âme rebelle. D’où la raison du sourire sur le visage de son père, alors qu’elle rechignait à descendre de son perchoir. Encore une fois, elle retrouverait son univers d’aventures et de batailles plus tard. Dans des gestes agiles pour son âge, Lux glissa sur les branches et, une fois sur pieds à terre, son père lui passa une main dans les cheveux. Ses paroles ne laissaient entendre aucune réponse, mais ce fut avec un sourire sincère pour sa tendre progéniture qu’il les prononça. « Rends-toi plus utile, et va donc aider ta mère au poulailler pour ramasser les œufs. »

« Les apparences suffisent largement à faire un monde. »
Jean Anouilh

Peter et Rose Petterson étaient des parents aimants et chérissaient leur fille unique plus que tout. Seulement, Arianna-Lux était le garçon qu’il n’avait jamais eu. Non pas que cette condition faisait qu’ils détestaient leur enfant, mais dans leurs conditions de vie, il aurait été préférable que ce soit un enfant mâle qui naquit au sein de la famille. En effet, s’occuper d’une ferme et de tout ce qui en réfère par conséquent n’était pas facile, et les bras d’un autre homme aurait été plus utile. Cependant, et jusqu’à preuve du contraire, Arianna étant une petite fille tout de même assez fragile, elle ne pouvait accompagner son père partout pour l’aider, bien qu’elle se débrouillait bien. Par conséquent, elle aidait dans des tâches moins difficiles, accompagnait sa mère et, même si elle n’avait pas les capacités et la force d’un garçon, était d’une grande aide quand même. Dans ses temps libres, Arianna, si ce n’était pas passer ses moments à gambader dans les champs comme une folle ou à courir après les animaux, aimait beaucoup lire. Elle s’avéra être une enfant intelligente, apprenant bien vite à lire et écrire, tout en acquérant souplesse dans sa magie. Ainsi, Lux aurait pu être l’enfant modèle, bien qu’elle soit parfaite aux yeux de ses parents, elle était néanmoins d’une nature contradictoire et, par-dessous, à avoir des tendances parfois suicidaires à affronter ses limites. Elle aimait l’aventure, faisait de sa vie un périple, rêvait de mille et une prouesses et avait une certaine manie à très apprécier son épée de bois fabriquée par les mains de son père. Attirée par les sensations fortes, le danger était la plupart du temps inexistant pour elle. C’était ainsi qu’elle revenait souvent à la maison avec les genoux écorchés, les chevilles tordues, les bras griffés. Une fois, même, s’était-elle cassée une jambe. Mais de bons sorciers dont l’art était la guérison l’avait bien vite remise sur pieds et déjà elle gambadait à nouveau. Malgré ses mésaventures, il était inévitable qu’elle gagnait en souplesse et agilité.

Toutefois, vint le temps où ses parents voulurent changer d’air quelques temps. Les parents d’Arianna avaient des amis de Trifaë qui avaient aménagé sur Terre, d’autant plus qu’ils s’étaient déjà rendus dans ce monde parallèle dans un passé quelque peu lointain, lorsque leur fille n’était pas encore née. Ainsi, âgée de neuf ans, Arianna-Lux accompagna ses parents pour ce monde qui lui était inconnu. Elle en avait déjà entendu parler, nombreuses étaient les personnes qui allaient et venaient entre ces deux vastes lieux, elle avait même fait la connaissance d’enfants de son âge ayant découvert la trappe magique sous leur lit. Sa famille emménagea à Perth, en Australie, et Lux dut vite apprendre les rudiments de ce nouveau monde. Elle s’adapta très vite et personne ne remarqua quelque chose d’anormal en elle, si ce n’était son fort caractère. La Terre était un monde tout ce qu’il y avait de plus banal, ressemblant à Trifaë à deux exceptions près. D’une part, il n’y avait pas de magie en ces lieux, et rares étaient les personnes qui y croyait. D’autre part, ces terres étaient ravagées par des conflits entre peuples, alors que tous se ressemblaient au contraire des peuples de Trifaë qui, eux, étaient différents mais s’entendaient suffisamment. Arianna et ses parents restèrent sept ans à Perth, alternant néanmoins leur passage sur Terre et sur Trifaë. Ainsi, la ferme familiale se trouvait entre le bon soin des mains de cousins, et les parents de la jeune fille, notamment Peter, se rendant régulièrement là-bas grâce au passage des trappes pour apporter son aide et continuer d’entretenir son patrimoine. Lux, quant à elle, s’intégra parfaitement dans le cursus scolaire et socialement, et en plus de ses nouveaux amis, elle garda contact et continua à voir ses amis de son monde magique. Du fait de l’alternance entre les deux mondes, les absences de la belle brune étaient toujours un mystère, des problèmes de santé étaient prétextés. Ainsi, Arianna-Lux grandit tout aussi paisiblement que sur Trifaë, entre ses plaines et la ville, devenant une belle demoiselle, tandis qu’elle maîtrisait et manipulait de mieux en mieux sa magie mentale. Par ailleurs, le fait que la magie ne soit plus praticable sur Terre lui était d’un grand repos et lui évitait nombre de migraines, c’était une raison majeure quant au fait que peu de sorciers et autres personnes aux pouvoirs surnaturels décidèrent de s’installer ici.

« Dès que nous naissons, nous pleurons d'être venus sur ce grand théâtre de fous. »
William Shakespeare

La vie n’est pas qu’un simple long fleuve tranquille, mais surtout un torrent à la fois destructeur et créateur, que ce soit pour un simple humain, un sorcier ou une créature magique, Arianna-Lux l’a apprit à ses dépends. Âgée de dix-huit ans, devenue une belle jeune femme, cela faisait à présent deux ans qu’elle était retournée vivre principalement sur Trifaë, sans ses parents, pour rejoindre Maoligri et la communauté des sorciers, s’installant ainsi chez une cousine plus âgée. Après mûre réflexion, Lux avait décidé d’approfondir sa connaissance en la magie et retourner vivre au milieu de son peuple était la meilleure solution qu’elle avait trouvée. Toutefois, son âme résidait aussi à Perth à présent, et jamais ne pouvait-elle s’éloigner trop longtemps de l’Australie. Les Petterson voyagèrent beaucoup et la sorcière apprit à découvrir les différents continents de cette planète qui lui devenait de moins en moins inconnus, mais surtout sa deuxième maison. Toutefois, l’Australie était le pays qui leur était le plus accueillant et chaleureux, c’est pourquoi Arianna connaissait assez bien le continent, notamment Perth. Cette ville, elle la connaissait même comme sa poche dorénavant, et jamais ne se serait-elle méfiée d’une rue qu’elle avait si souvent fréquentée. Seulement, le danger était partout et privée de sa magie, elle était une humaine tout ce qu’il y avait de plus banal. Vulnérable et fragile, malgré son tempérament de feu.

Les fêtes de fin d’année se faisaient toujours en famille chez les Petterson, mais depuis quelques années les membres de cette si nombreuse famille ne se voyaient plus, ou très peu. Alors que les plus jeunes grandissaient, les plus âgés vieillissaient et commencèrent à délaisser les passages des trappes, sans compter que la nouvelle alliance qui prit vie attira nombreux sorciers dans ses rangs. Arianna-Lux était retournée à Perth, bien que les passages entre les deux mondes s’avéraient compliquer et dangereux dus aux nombreux conflits, pour Noël et en ce soir de lendemain de réveillon, elle se baladait d’un pas rapide dans les rues de la ville. De part le fait qu’il faisait nuit et froid, les rues étaient quelques peu désertes mais cela ne l’inquiéta pas plus que cela, à vrai dire elle en avait eu souvent l’habitude. Toutefois, la vie paisible ne peut durer, comme les fleurs qui se fanent et meurent pour laisser leur place. Après la lumière, l’obscurité, et s’en suit un jeu entre les deux. La tranquillité de Lux la laissa néanmoins tomber lorsqu’elle passa devant une ruelle mal éclairée, particulièrement lorsqu’un homme du fait de sa silhouette massive en sortit et se mit à la suivre. Hâtant le pas, cette course poursuite se déroula ensuite en courant. Aveuglée par cette peur nouvelle, transie par le froid, les pas de la jeune femme l’avait conduite dans un parc désert où il était inutile d’appeler à l’aide car s’égosiller n’aurait pour unique réponse le silence. Dans cette course éperdue, le temps passa lentement, et bien vite elle se crut finie. Déjà se voyait-elle succomber à cet individu inconnu lorsqu’elle aperçut au loin le retour des lumières des habitations. Arianna-Lux redoubla d’effort, mais son espoir mourut aussi vite qu’il n’acquit lorsque la masse qui la suivait se jeta sur elle, la faisant tomber à terre et s’étrangler dans son souffle par le manque d’air que cela avait provoqué. Avant même qu’elle puisse crier, reprendre une respiration normale, une main puissante emprisonna sa bouche tandis que la deuxième la cloua au sol. Elle s’agita faiblement mais sa peur et le poids conséquent de l’homme sur elle la paralysait à terre. S’en suivit ce qu’il n’aurait jamais du se produire, et même les larmes de honte, de douleur et de tristesse ne purent effacer cet épisode. Durant cette nuit d’hiver, un homme abusa d’elle, violant son intimité et sa confiance. Lux s’enferma dans un mutisme suite à cet évènement, jamais personne ne fut au courant. Le lendemain, elle repartait déjà pour Maoligri tandis que ses parents revinrent emménagés dans leur bonne vieille ferme dans les plaines de Trifaë.

Les tensions entre peuple étaient de plus en plus palpables, Peter et Rose Petterson avaient décidé de tourner dos à la Terre pour venir aider leur proche. Arianna, quant à elle, son mutisme se muta en douce folie et bientôt, sa raison devint aussi fragile et bancale que vase cassé, qu’une rose brisée. Tout individu pouvant lire dans les pensées auraient pu découvrir facilement ce qui avait provoqué ce changement en elle, seulement elle aussi s’avérait douée dans la manipulation du mental, ce qui lui permit de se protéger elle-même contre tout possible envahisseur dans sa tête. Finalement, son instabilité la fit partir, elle quitta Maoligri, sa famille, ses parents, pour s’aventurer dans le reste du pays. Ces conflits entre races la firent assez vite revenir, un an plus tard, chez elle. Ce fut sans nul doute le second épisode traumatisant de son existence. La perte de ses parents. Ce fut un drame non accidentel, des sorciers adeptes de magie noire avaient débarqué à la ferme de ses parents, là où elle venait tout juste de revenir vivre, et y avaient mit le feu. Les conflits qui saignaient Trifaë s’étaient étendus au sein même d’un peuple au-delà unis, malgré les oppositions de magie. Lux réchappa de ce drame, au contraire de ses parents. Parmi les flammes, en jeu contre sa survie, elle avait reconnu le visage d’un des agresseurs. L’univers était bien trop petit pour que celui ayant enfreint son intimité soit le meurtrier de ses parents, et par dessus un membre de son peuple. Un sorcier, comme elle. L’instabilité d’Arianna explosa et elle partit, tournant le dos à son peuple et ne voulant plus jamais entendre parler de sorciers.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! »

Charles Baudelaire

Il avait fallu de deux et uniques évènements négligeables pour la faire changer. Il avait fallu de ces deux trahisons pour qu’elle s’éloigne. Il avait fallu de ces quelques atteintes à son bonheur pour que son propre monde s’écroule. Arianna-Lux en ressortit trahie, sale, abandonnée. Jamais elle ne s’était sentie aussi seule en ce monde, jamais elle n’aurait pu croire pareils actes de ses semblables. Elle aurait pu oublier l’atteinte à son intimité, peut-être aurait-elle pu pardonner son ravisseur dans un dernier espoir aussi fou et suicidaire. Si seulement il n’y avait pas eu l’écroulement des piliers de sa vie déjà fragilisée. Ils étaient des sorciers, ils étaient son peuple, son amour de la magie, et ils l’avaient trahie. Comme de nombreuses autres familles sur Trifaë, tous souffraient. Mais il avait suffit de l’assassinat pour déclencher la réelle rébellion de la jeune femme. Approchant de ses vingt ans, la maturité qu’elle avait acquit était devenue aussi inébranlable que du marbre, la solitude devint finalement sa meilleure alliée, tandis que ses veines vibraient encore de sa magie. Lux avait toujours eu foi en ses convictions, toujours avait-elle rêvé de liberté, loin des contraintes mais jamais elle n’aurait pensé que c’était de cette façon qu’elle allait l’atteindre. Ce rêve d’enfant devint bien vite son ultime but et, reniant ses origines, ne pratiquant quasiment plus sa magie si ce n’était en réelle nécessité, partit à la conquête de ce trésor qu’elle chérissait depuis toujours. Elle était encore jeune mais le temps et le passé avaient effacé sa fragilité, son caractère fort revint de plus belle. Elle erra un moment à la recherche d’une quelconque manière de s’offrir la liberté, jusqu’à la révélation. Les livres qu’elle lisait depuis toute petite avaient souvent raconté les périples d’un peuple que nul ne pouvait arrêter, que rien ne pouvait les faire flancher. Les pirates. Ce fut comme l’illumination, la réponse qu’elle cherchait depuis tant d’année, la liberté qu’elle avait tant rêvée. Elle le savait, elle tenait la solution. Dès lors, jamais ni personne ne pouvait l’arrêter sur son chemin. Elle trouva bien vite les pirates mais il lui fut difficile, en tant que sorcière et surtout femme de pouvoir se joindre à eux. Elle usa alors de sa magie et de ses talents pour y faire sa place. Un vieux loup de mer fut convaincu par ce bout de femme séduisante et mystérieuse. Il accepta Lux sur son navire en tant que cuisinière, cette étape lui apparut comme une victoire. Elle avait réussi à les atteindre, à prendre le large avec eux. Ce qui fut plus surprenant encore fut son adaptation. Elle dégageait une telle aura, un tel charisme, qu’elle se fit vite sa place. Au départ, elle se baladait parmi les pirates qu’ils la regardaient avec mépris, lui crachant même à la figure. Mais rien, pas même les insultes, ne la déstabilisèrent. Arianna-Lux s’avéra être un élément doué au combat et, sans qu’on lui demande, aida de nombreuses fois ses congénères durant des batailles. Usant de son agilité, de son maniement d’arme blanche, des ses atouts de sorcière tel que la fabrication de poison ou de baume guérisseur apprit dans un vieux grimoire de sa famille, sans oublier sa séduction, elle devint bien vite une pirate à part entière.

Arianna était persuadée qu’elle n’avait pas encore atteint l’ultime liberté qu’elle avait tant recherché, alors elle fit en sorte de devenir un élément indispensable, aussi bien qu’elle le put. Au fil du temps, elle devint une femme respectée par ceux qui la connaissaient, restant toutefois critiquée et détestée, voir même menacée. En plus de commencer à se faire connaître en tant que femme pirate, elle s’était aussi fait connaître en tant que femme volage. Dans cet univers à part, où les lois ne régissaient pas, où les règles n’existaient pas exceptés des codes d’honneur, elle séduisit nombre d’hommes des mers, souvent à des desseins personnels mais nombreux furent ceux qui atterrirent dans son lit, ou inversement. Auparavant, il était quasiment impensable que des femmes rejoignent ce mouvement de brutes et pourtant elle l’avait fait, prouvant à qui voulait bien le croire qu’elle avait réussi. Elle restait même persuadée que d’autres avant elle y étaient parvenues, comme d’autres y arriveront sûrement après. Cependant, elle devait être une des rares à ne pas avoir caché sa féminité, mais à carrément l’utiliser comme un atout. Quoiqu’il en soit, sa prestance la fit gravir les échelons. Depuis toujours, Lux avait le don de s’adapter facilement, d’apprendre rapidement, de s’adapter à toute situation, il était tout naturel pour elle de conquérir cet univers masculin, avec difficulté certes. Et, enfin, l’ultime délivrance. Elle prit possession de son propre navire, le Wild Treasure, un nom à son image et, à vingt-quatre ans passés, elle était enfin capitaine. C’était incroyable, inhumain, impensable. Une femme, qui plus est sorcière, capitaine. Calomnies, aberration, quoiqu’il en soit, c’était bien réel. Seuls ceux qui l’ont vu par leur propres yeux, seuls ceux qui ont connu Arianna ou ont goûté au poison de ses lames, le savent et en sont certains. La capitaine du Trésor Sauvage existait réellement, elle se montrait aussi indomptable que le laissait entendre des rumeurs.

Il lui avait fallu un long périple, bien que court sur la durée d’une vie, à Arianna-Lux pour arriver à son but, à ses rêves. Son navire, son beau bâtiment, était aussi cher à ses yeux qu’elle était loyale avec son équipage, qui le lui rendait bien. Son attitude à être une battante, à tenir ses promesses, à rester avec honneur la tête haute, furent prouvés sur les eaux. L’océan était en rage, cela faisait une journée que le Wild Treasure avait quitté l’île des pirates, Inpulata, et à la nuit tombée ils avaient été attaqué par un vaisseau ennemi. La piraterie, ce n’était pas seulement la liberté, mais aussi le challenge d’une vie, le désir de se prouver, d’atteindre ses limites, de faire face au danger et d’affronter quiconque se mettrait en travers de leur chemin. Trifaë était ravagé, les conflits ne cessaient pas et les terres n’étaient pas le seul endroit d’insécurité, l’océan le devenait tout autant. Quoiqu’il en soit, les conditions météorologiques fortement défavorables à la navigation avaient déjà provoqué l’irritation et l’impatience des pirates, bien que Lux commandait à merveille le navire et le faisait glisser sur les vagues. Seulement, être accosté par un autre bateau, le fait qu’une bataille éclate, les nerfs avaient lâchés et la tension jusqu’alors palpable avait explosé. Aucune perte pour le moment, mais les blessures graves commencèrent à s’accumuler dans les deux camps. Le temps ne s’arrangea nullement, pis, il empira. Bientôt, il fut plus question de survie pour chacun que de combat.

Arianna-Lux combattait vaillamment aux côtés des ses compagnons, comme elle l’avait toujours fait, et il devint difficile d’éviter ses poignards auparavant trempés dans une concoction empoisonnée à base d’herbes préparée par ses soins. Déterminée à aller jusqu’au bout, son audace la trompa lorsqu’elle reconnut le visage d’un ennemi. Le même. Encore lui, toujours présent. L’infâme homme, le meurtrier, la cause même de son rejet envers les sorciers. Que faisait-il ici, telle était la question qui ne resta sans réponse. Il était vieux, bien trop âgé pour être capable de se battre, mais présent pour sa magie. Lux le devina bien assez vite mais ne pouvait protéger tout son équipage contre ce vieil ennemi personnel. Alors, elle commença à flancher, notamment lorsqu’une lourde pression commença à s’installer dans l’air, s’abattant sur les pirates. La capitaine le devina aussitôt que l’instantané pouvait le permettre, elle avait en face d’elle un mentaliste, aussi, mais d’une force plus puissante que la sienne. D’autant plus qu’elle n’avait pas eu vraiment recourt à sa magie depuis qu’elle avait mit les pieds sur le premier bateau qu’elle avait habité quelques temps. Ce fut son courage sans faille, sa loyauté envers ses hommes qui lui firent aller jusqu’au bout. Arianna abandonna le combat et battit en retraite, de manière à pouvoir pleinement se concentrer. Le sorcier des troupes ennemies, qui n’avait absolument rien à faire là, comme elle au final - mais les temps avaient changé sur ce monde et beaucoup de choses n’étaient plus si surprenantes, en fait – tenait dans l’une de ses mains un vieux bâton de bois. Cela suffit a engendré un sourire sur les lèvres de la sorcière pirate, il était vieux jeu avec un tel instrument comme source de sa puissance. La jeune femme ferma les yeux et sentit le crépitement correspondant et familier lorsqu’elle usait de sa magie, c’était un signe particulier qui lui appartenait, tandis que ses mains s’illuminait d’une douce lumière rouge. Aussitôt qu’elle ouvrit son esprit, un maelström de sensation s’abattit sur elle : la détermination de ses hommes, la hargne des adversaires, et l’accablement qui s’abattait sur son équipage, provoqué par le sorcier ennemi. Lux aurait aimé lire dans les pensées du vieillard mais la pression était bien trop forte et elle dut mobiliser toute ses forces qui lui restaient pour maintenir ce sentiment de désespoir qui voulait envelopper son bateau. L’empathie de certains étaient essentiellement centrée sur le fait de pouvoir ressentir les émotions d’autrui, pour d’autres telle qu’Arianna-Lux il était possible de les influencer aussi. Elle était une mentaliste, mais l’empathie était son domaine de prédilection, ce qu’elle maîtrisait parfaitement, or elle ne parvenait qu’à maintenir un fin nuage protecteur de courage autour de ses combattants. Au moment où elle tomba à genoux, à bout de souffle, quelqu’un se posta à ses côtés et lui glissa un objet familier dans ses mains. Elle avait toujours les yeux fermés mais reconnaissait l’individu qui n’était autre que son second, Edwin, elle le reconnaissait tellement bien grâce à son doux parfum qui émanait de son être. Quant à l’objet entre ses mains, son objet, était un carrousel. L’objet qui lui permettait d’augmenter la puissance de sa magie. À œil nu, on ne pourrait croire que la situation était difficile, mais ce n’était pas chose aisée de combattre un sorcier adepte de magie noire et plus fort que soit, sans compter que la tournure des évènements pesait sur ses frêles épaules. Lux, contre toute attente, se mit à trembler, chose qui n’était pas due au froid mais à son propre désespoir. Non seulement elle tenait entre ses mains la survie de son navire, mais aussi son passé, qui l’avait encore une fois rattrapée. Edwin s’accroupit à ses côtés tandis que les murmures de la bataille faisaient encore rage, et lui chuchota à l’oreille. « Vous n’avez pas à avoir peur. » Ce souffle doux la fit frémir, comme à chaque fois qu’il lui parlait de la sorte ou la prenait dans ses bras, doucement. L’homme l’enveloppa aussitôt dans une étreinte de chaleur et de confiance. « Vous devez le faire, Cap’taine, vous pouvez y arriver. Vous avez pas l’choix. » Son ton se fit encore plus bas, plus intime, et aurait presque pu échapper à la belle brune. « Tu as conquiert ta liberté, ne la laisse pas t’échapper. » Ces simples mots suffirent pour qu’Arianna réagisse dans toute sa splendeur. D’un geste rapide et souple, elle tourna le socle du petit carrousel qu’elle tenait entre ses mains dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, le lâcha pour le maintenir du bout des doigts et le brandit devant elle comme une arme de défense. Le manège de bois se mit à tourner à sens normal et une douce mélodie, digne d’un chant de sirène, s’en échappa, recouvrant la rage de l’océan et les cris de la bataille. Avec agilité Lux se remit debout et sa concentration fut telle, que du sang commença à couler de son nez. Le rouge maintenant ardent de ses mains s’intensifia et elle se jeta corps et âme dans une bataille silencieuse, dans une explosion de magie. La notion du temps lui échappa, de même qu’elle ne percevait plus de présence autour d’elle, tandis qu’elle enveloppait le Trésor Sauvage d’un voile de courage infaillible, refoulant à ses limites l’ennemi. Le changement d’atmosphère se perçut rapidement lorsque des cris de surprise s’échappèrent ici et là. Lux ne tint guère plus longtemps et flancha, après avoir jeté ses ultimes forces dans sa propre bataille, puis le néant l’enveloppa et elle sombra.

Cette nuit-là, la capitaine sauva son équipage, l’ennemi s’enfuit et nul ne sut réellement si il s’agissait de pirates ou d’un autre peuple. L’épuisement fut tel pour tous qu’ils gagnèrent quelques jours de repos sur l’île d’Inpulata. Lux ressortie épuisée de cet affrontement mais elle avait prouvé à tous sa loyauté sans faille et, bien que le Wild Treasure s’était allégé de quelques membres tués ou l’ayant abandonné, beaucoup restèrent sur le navire et continuèrent à la suivre. Sa relation avec Edwin devint ambigüe et la présence de ce bras droit la faisait bien souvent tressaillir. Il y a six mois, Arianna décida néanmoins de s’octroyer une pause. Les conflits sur Trifaë étaient devenus bien trop important qu’elle avait décidé de chercher une solution sur des terres inconnues de son monde, voir même s’échapper quelques temps. Cette absence fut considérée comme des vacances pour les pirates qui vaquèrent alors à d’autres occupations, les pauses étaient parfois nécessaires pour tout le monde. Cependant, le repos fut de courte durée jusqu’à ce que les trappes furent bloquées. Voilà six mois qu’Arianna-Lux, bloquée sur Trifaë, rumine et remue ciel et terre pour trouver le moyen de retourner sur Terre, là où elle pense trouver une aide potentielle, avant de retrouver son navire, retrouver sa liberté, sa vie.